Donc j'étais un auteur burlesque. Condamnée au burlesque depuis « Mado ». Mes nouvelles, qui ne relèvent pas de ce genre, détonnaient. Mais je n'arrivais pas à les faire publier en recueil (sauf collectif), qui m'aurait assuré un public moins confidentiel que la dispersion en revues. Pourtant j'étais - je suis - certaine d'être meilleure dans l'écriture des nouvelles que celle des romans...
Alors ? Imposer un roman qui ne serait pas burlesque ? Quel défi ! Quel suicide !
Hé bien mesdames, mesdemoiselles, messieurs (roulement de tambour !) j'ai réussi. Pas du 1er coup. J'ai dû m'y reprendre en vingt fois (= 20 éditeurs) avant de faire accepter ce récit d'une insomnie royale.
Mais commençons par le commencement. En 1976 je découvre le château d'Etelan, qui vient de changer de propriétaires, et donc ouvre ses portes aux visiteurs. C'est un après-midi d'été, je suis avec mon mari, une amie. Longue allée d'arbres tricentenaires (que la violente tempête de 1999 abattra comme des brindilles, d'une seule bourrasque !), pelouse, sous un parasol, une femme écosse des haricots. La châtelaine elle-même, Françoise Boudier, qui abandonne légumes et passoire pour nous faire visiter son domaine. Françoise est une passionnée. Elle vit ce qu'elle raconte. Et quand elle annonce « la chambre de la Reine » - où la reine en question ne passa qu'une nuit - le souvenir s'incruste en moi...
C'est durant un autre été - 1990 - que j'écris La Nuit d'Etelan, qui posera problème à tant d'éditeurs : pourquoi avoir usé de la 1ere personne s'il s'agit d'un récit historique (car je me suis documentée, je n'invente rien) ? Et de ranger le texte dans la catégorie roman historique... Mais les romans historiques, il est de tradition que ce soient des pavés, or le mien est léger, léger...
Bref : recalée, jusqu'au 21° éditeur (en photo avec moi, déguisée en Catherine de Médicis, à la rubrique bibliographie) qui, en 2001, prend le risque :
... prend le risque de n'avoir aucune critique. Rien que des reportages locaux, où on me fait plus parler de moi que de Catherine de Médicis.
Cela n'a pas entamé ma certitude : de mes 5 romans publiés, c'est le seul dont je sois vraiment fière.
Enfin... le presque seul. Car j'en ai un autre qui fut également refusé par vingt maisons d'édition, et pour lequel je n'ai pas trouvé un second téméraire. Tant pis : il dort dans le placard des refusés... Je ne démarche plus. Je suis fatiguée... Et c'est tellement plus simple de mettre des textes sur Internet : le lecteur est joint sans intermédiaire, sans temps perdu à poster, attendre des réponses, et, dans le meilleur des cas, attendre encore la publication, puis attendre les critiques, la bonne volonté des libraires, qui, pas moins submergés que les critiques, ne peuvent pas toujours défendre les livres. Voir disparaître ces livres rapidement, attendre la comptabilité délivrée par l'éditeur, jusqu'au jour où il informera que, le rendement n'étant plus suffisant, il va céder les invendus à un soldeur ou les pilonner ; si l'auteur veut racheter ses livres avant destruction c'est toujours possible. RACHETER ses propres textes, après ce parcours du combattant qu'à été de les faire éditer, quelle humiliation, quel brise-cœur ! C'est ainsi grignotée, sur quelque trente ou quarante années d'obstination, qu'enfin, on rend les armes, on laisse sécher l'encre bleu des mers du sud.
Et la châtelaine d'Etelan ? Elle va bien merci. Ni l'âge ni les épreuves ne l'ont abattue. Je l'ai rencontrée au théâtre récemment, où elle voyait pour la 4° fois La Place royale de Pierre Corneille. Ensuite, nous avons pris un pot au café du théâtre (de Lillebonne), malgré l'heure tardive, puis elle est retournée vers ses chers fantômes, par l'allée où elle a replanté de jeunes arbres...