J'ai toujours eu le goût de raconter des histoires...
Je possède encore la première trace : celle d'un conte, écrit - et illustré - vers ma huitième année (1955)
C'est un genre que je n'ai jamais renié, et on en trouvera de nombreux exemples dans la rubrique contes.
Mon texte Chroniques de Saint Crépin sur Loue (rédigé en 1976) que je considérais comme une pochade, n'était pas non plus mon premier roman. Je le laissais dormir dans un tiroir pendant deux ans, en compagnie du précédent (autobiographique, et pour lequel j'avais beaucoup plus d'estime) jusqu'au jour où je vis l'annonce d'une nouvelle maison d'édition : Le Signe. Superstitieuse (et encouragée par mon mari, qui croyait plus que moi en mon talent), je jugeais que c'en était un (de signe) puisque le plus ancien de ces 2 romans portait ce mot dans son titre. J'envoyais donc les 2 manuscrits (dont l'un était vraiment un manuscrit : écrit à l'encre bleu des mers du sud) à la dite maison. Une petite maison, où n'officiaient que 3 personnes, qui auraient le temps de s'occuper de moi beaucoup mieux qu'une grosse, pensais-je (et en cela pensant différemment des auteurs débutants - appris-je plus tard - lesquels commencent par Gallimard, avant de descendre vers de plus moyennes maisons, et de moyennes en moyennes vers les petites - parfois jusqu'à cette mesure désespérée : l'édition à compte d'auteur, qui est, nous ne le dirons jamais assez : une arnaque. Je n'y ai pour ma part jamais consenti). J'eus une réponse rapide, qui condamnait le texte que je préférais mais trouvait de l'intérêt à l'autre (celui à l'encre bleu des mers du sud, dont je n'avais même pas gardé un double car les photocopieuses de cette époque ne captaient que l'encre noire !), pour peu que je le gonfle un peu : il était trop court. Je le retravaillais donc, sous la très charmante férule de Jean-Paul Iommi Amunategui et Dominique Muller (devenue depuis l'auteur que l'on sait). Le jour de la saint Crépin 1979, Jean-Paul me dit la formule magique : on vous publie. Je me mis à trembler tant ma joie était violente...
« On » n'était plus Le Signe, qui n'avait pas résisté à la concurrence, mais André Balland, qui avait racheté deux manuscrits : le mien et un guide du divorce... heureux ! Mes Chroniques de Saint-Crépin-sur-Loue parurent donc, en 1980, aux éditions Balland, sous le titre « Mado », tiré à 15000 exemplaires :
J'eus immédiatement une critique abondante, qui me laissa stupéfaite, qui agaça la standardiste de la bibliothèque où je travaillais (« y'en a marre de tous ces journalistes qui téléphonent à madame Arèse ! L'Express est même venu la photographier sur la pelouse »). Critique trop abondante pour que je vous inflige ici toutes les lignes écrites sur ce livre. Je n'en ai sélectionné que quelques-unes (noms d'auteurs en gras), que vous trouverez sous la liste les répertoriant :
Sans noms d'auteurs, dans les journaux suivants :
Signé Marie-Louise Audiberti, dans Le Magazine littéraire :
Qu'elle est drôle, cette naïve en baskets, jamais sortie de Saint-Crépin dans le Jura, et combien réjouissante est sa vision des choses et des gens au niveau de la sacoche postale que cette factrice trimbale sur les routes !
Elle a toutes les audaces et toutes les illusions, pourtant elle n'ignore pas que sa silhouette lourde et ses dents cariées ne la rendent pas des plus attirantes : « si j'avais été jolie j'aurais été putain ». Mais pourquoi n'aurait-elle pas le Président de la République dont on dit qu'il déjeune parfois chez le commun des mortels, et pourquoi ne séduirait-elle pas un écrivain en renom ? A force de prier sainte Austreberthe, patronne des lessiveuses, peut-être Mado sera-t-elle exaucée. A travers l'histoire de cette déshéritée, l'auteur se livre à une désacralisation hilarante de nos mythes. Le cheveu est toujours dans la soupe, la rendant amère ou comique. L'univers de Mado, c'est celui que dessinent les magazines à grand tirage qui font rêver dans les chaumières. Mais dans sa naïveté, Mado croque à traits justes le monde qui n'est pas le sien, celui des nantis. Elle n'est pas totalement délaissée. Il y a Philomène, le berger qui lui a promis de baptiser le prochain chevreau Mado ! Mais « ya pas moyen de s'élever un peu dans la conversation avec lui ». La grande affaire, c'est de trouver un mari. Le mieux sans doute est de placarder une annonce matrimoniale sur les platanes de la nationale, ce qu'elle fait.
Langage cru, verve sans défaut, Simone Arèse mène d'une main sûre ce discours d'une Bécassine nouveau genre qui est aussi la pittoresque chronique d'un village.
Signé Michel Caffier, dans l'Est républicain :
Les occasions de franche gaieté se raréfiant avec la morosité du temps, il faut profiter de la bonne farce que raconte Simone Arèse, avec « Mado », l'histoire cocasse d'une « jeune pucelle sans grâce et plutôt innocente, préposée aux P.T.T. à Saint-Crépin-sur-Loue ». Ce n'est pas un récit féministe dans le ton des romans de Catherine Rihoit ou Chantal Chawaf. On ne s'extasiera pas sur « l'exquise délicatesse de l'analyse des sentiments contradictoires d'une célibataire au cœur brûlant ». « Mado » c'est, dans un décor de « Clochemerle », la solitude racontée à la manière de Patrick Cauvin. Canular au premier degré, réflexion sur le bonheur quotidien, au second.
Mado est postière à Saint-Crépin, dans le Jura, où la Loue « est comme un grand serpent coulant ses nœuds lisses entre les vagues des prés ». Elle distribue le courrier le matin et relève les trois boîtes l'après-midi. Quand le temps est humide, elle décolle à la vapeur les lettres des Saint-Crépiniens. Elle lit France-Dimanche et se réfère plus souvent à Farah Diba, Caroline de Monaco ou Charles d'Angleterre qu'à Edmond Maire ou Georges Séguy : « Je me sens d'un poids trop léger pour changer le monde (je parle du poids moral, car pour ce qui est de l'autre, j'approche des 80 kilos) »
C'est son problème, mais elle n'en fait pas un drame. Les gamins du village ont beau crier « sauve qui peut les gars y'a Mado qu'entre dans la rivière, ça va déborder », elle continue de prendre six croissants au petit-déjeuner, une omelette de huit œufs dans la journée, du « rab de morilles » quand elle dîne au Grand Sultan à Merey-les-bains. Elle est gourmande de croquettes au praliné, et à la kermesse paroissiale, elle tient le stand des pâtisseries, pour les goûter toutes.
Sa grande bouffe, cause de tous ses maux, la console mal, pourtant, de sa solitude et de son célibat. Mado manque d'hommes : « Depuis trente ans j'agonise toute seule »
Sur le mur de sa cuisine, à côté du crucifix, elle a épinglé la liste des célibataires de Saint-Crépin bons à marier : Adrien Fouillard, 40 ans, impuissant, vérifié par la Maryse ; Césaire Blanc, 53 ans, pas encore veuf, mais c'est pour bientôt ; Joseph Groud, 43 ans, est riche, pas moi. L'été, il y a, en plus, les vacanciers, comme Jean-Marie Zerlini, qui est descendu au Grand hôtel et qui est écrivain.
Mado se le fait souffler par sa copine Germaine, qui fait le tapin sous le nom de Brigitta. Germaine - c'est le métier qui veut ça - est une nature. Elle est allée à Lyon soutenir Ulla et quand elle est « en crise de révolution » elle descend à Paris défiler en faveur de l'avortement. De son escapade elle apporte à sa copine « une petite tour Eiffel dans une boule avec de la neige qui tombe quand on la retourne », un souvenir qui rejoindra quelques lettres, des faire-part, un ticket de cinéma et une étoile de mer, dans une boîte qu'ouvre Mado quand le ciel du Jura est trop bas.
Germaine, malgré ses mecs de passage, et Mado, à cause de ses allures de facteur-cheval, sont condamnées à rester seules. Une tentative d'affichage sur les arbres de la route de Saint-Crépin à Merey - c'est à dire de Port-Lesney à Salins-les-bains - a échoué. Maso avait écrit : « Jeune fille sérieuse un peu forte, ayant beaucoup souffert, cherche, vue mariage, homme catholique mais affectueux. Age indifférent, physique indifférent, situation indifférente ; aimant les animaux et les levers de soleil sur la rivière »
La veille du passage du préfet, les gendarmes ont trouvé l'annonce provocante et l'espoir, une fois encore, s'est envolé. Il ne reste à Mado qu'un gros ours pelucheux pour ses nuits solitaires, ses croquettes au praliné, les Carambars qu'elle s'offre quand, préposée indiscrète, elle a deviné avant de l'ouvrir si une lette a été signée par un homme ou par une femme.
Simone Arèse - bibliothécaire à Rouen ; mais originaire de Port-Lesney - n'a pas lésiné sur les effets. Sa factrice sait tout de la population du village, hommes, enfants, animaux : elle met ses gros sabots pour bien rythmer la farce campagnarde. On rit, on sourit, parfois on trouve que Mado en rajoute un peu. Mais après les éclats joyeux un étrange silence se fait : on découvre que « la jeune pucelle sans grâce et plutôt innocente » a un cœur gros comme ça et beaucoup de vague à l'âme. La drôlesse devient attendrissante et attachante. Car si elle se bourre tant de chaussons aux pommes et de tartes aux mûres c'est « parce qu' il n'existe pas un chagrin qui résiste à un gâteau ».
Mado, par la sûreté habile de Simone Arèse, s'impose d'entrée comme un personnage au cœur d'un livre de poids, qui n'est jamais pesant. Elle est espiègle, un peu cancanière, un peu voyeuse. Mais elle a l'esprit vif et l'âme tendre : « La maison est pleine de l'odeur des fruits et du sucre. C'est un parfum que je trouve triste par qu'il est comme un cœur de grand-mère ».
Ne vous bourrez pas des tartes à la crème de Mado. Cherchez plutôt ces petites miettes-la ; elles sont surprenantes et abondantes, douces-amères comme la solitude
Signé Jérôme Garcin, dans Les Nouvelles littéraires :
Port-Lesney est un petit village du Jura, dans la verdoyante vallée de la Loue. C'est là d'ailleurs qu'Edgar Faure va passer ses vacances. C'est là également qu'est née Simone Arèse, aujourd'hui âgée de trente-trois ans et bibliothécaire à Rouen. Dans son premier roman, Port-Lesney est devenu Saint-Crépin. Mais il faut croire que la factrice, elle, est restée fidèle aux souvenirs colorés qu'en garde la romancière...
Madeleine, alias Mado, eut aimé être putain. Mais la nature ne l'ayant pas gâtée, elle opta, avec ses quatre-vingt kilos, pour les PTT. Une autre façon de rendre service. Une autre manière de longer les trottoirs. Ayant le mollet plutôt vigoureux, Mado distribue tous les jours le courrier aux bonnes gens de Saint-Crépin-sur-Loue, dans le Jura. Mais, vous l'avez compris, la vraie vie de cette lectrice assidue de France-Dimanche et de Nous deux, la très profonde existence de cette préposée souvent en goguette est intérieure. D'où le soliloque naïf et bon enfant que nous offre aujourd'hui Simone Arèse, lequel rend compte scrupuleusement des mille et un états d'âme, de cœur, et de corps, de notre sympathique jurassienne.
D'abord, Mado cherche un homme à marier. Quelqu'un avec qui partager les soirées et les dimanches. Au besoin, les nuits. Jean-Marie Zerlini, cet écrivain parisien, auteur d'une thèse au « titre rigolo » : Du féminisme ou le retour des acariens ? Non, il a des visées sur Germaine. En désespoir de cause, Mado, qui n'a pas d'esprit mais qui a des idées, décide de placarder sur tous les platanes de la nationale qui va de Merey-les-Bains à Saint-Crépin l'annonce matrimoniale suivante : « Jeune fille sérieuse, un peu forte, ayant beaucoup souffert, cherche, vue mariage, homme catholique, mais affectueux ». A défaut de trouver l'âme sœur, Mado tombe sur les gendarmes, ébahis par l'innocence tapageuse de cette Bécassine maladroite.
Mado se remet vite de cet échec cuisant. Elle ne manque d'ailleurs pas d'occupations : fêter le départ en retraite de M. Plantu et préparer le dîner dans le bureau de poste, porter les lettres urgents aux députés, écrire au président de la République « et à sa dame » pour les prier d'assister à la soirée théâtrale qui clôt la kermesse annuelle de M. le curé, « faire la poule » ici et là (c'est à dire : assister au bal qui suit les mariages), décoller les enveloppes à la vapeur pour tout savoir de la vie sentimentale des habitants de Saint-Crépin, et demander au patron, rouge de colère, du Grand Sultan : « le ris de veau aux morilles, c'est faisable sur mon camping-gaz ? » Mado met les pieds dans le plat. C'est sa façon de vivre. Plus nigaude qu'ingénue. Plus jean-jean que candide. Mais pas méchante pour un sou. C'est Clochemerle, version caricaturale.
Tout l'art sibyllin de Simone Arèse n'est pas tant de faire parler, vulgarité assurée, sa grosse Mado, que de la camper, telle quelle, devant cet intellectuel parisien en mal de colloques, Jean-marie, qu'elle cherche vainement à séduire avec la passion que mettrait une éléphante à faire la cour à un renard. Forcément, ça ne marche pas ! Mais il fallait bien une morale : Jean-Marie Zerlini de retour à Paris note dans son journal intime qu'il vient de recevoir un mystérieux manuscrit « douteuse refonte de Don Camillo » riche en clichés divers, dont l'académisme excessive semble cacher quelque secret. Comme si Clochemerle tournait à la satire, façon Bouvard et Pécuchet. Comme si la nigaude factrice était l'instrument d'une intelligente machination sociologique, signée Hélène et non Mado.
Mais que les lecteurs ne s'inquiètent pas : on peut se passer de la grille finale, sorte d'aide-lecture tardif, et apprécier, rien que pour l'humour féroce et la truculente vérité, le monologue parlé de cette postière parmi tant d'autres. Le sens des formules orales, la qualité de la satire, la verve et l'ironie sont tels qu'on a peine à croire qu'avec Mado, Simone Arèse publie son premier livre. S'il n'y a pas de doute, alors, Mme Arèse, chapeau bas !
Signé Noëlle Loriot, dans l'Express :
On rit. Avec mauvaise conscience, du moins pendant les vingt premières pages. Car l'histoire de Mado, factrice dans un village du Jura, devrait bien plutôt susciter notre compassion. Depuis que le roman paysan est devenu une institution, qui oserait le brocarder ? Et qui songerait à railler une pauvre fille laide, obèse, élevée dans un orphelinat ? Pourtant, l'hilarité triomphe à chaque instant. Il est vrai que Simone Arèse montre très vite le bout de sa griffe : celle d'une romancière très douée. Nous sommes beaucoup plus près de Christiane Rochefort que d'Henri Vincenot. C'est dire que l'humour fuse avec bonheur, que l'exercice de style a du nerf et que l'entreprise de démystification est parfaite.
Obsédée par le mariage, Mado la factrice accumule les gaffes avec une vitalité tapageuse. C'est, affirme l'auteur, un personnage inventé de toutes pièces. Néanmoins, des journalistes ont cherché à rencontrer « la narratrice de ce beau récit vécu ». Doit-on leur signaler que la pirouette finale donne la clef de ce remarquable canular ?
Signé Henri-François Rey, dans Votre beauté (je ne cite que les premières lignes d'une grande page de 4 colonnes) :
Je ne voudrais certes pas prendre la place du critique littéraire de ce magazine en parlant ce mois-ci d'un livre qu'au demeurant j'ai trouvé excellent. Il s'agit de « Mado ». C'est signé Simone Arèse à qui je prédis une longue et riche carrière littéraire. Car le livre est bon, il est même excellent, il est de ceux qui ont du goût et de la couleur. Qui respirent de leurs propres poumons et qui cavalent tout seuls au bon rythme des mots et des phrases. Il n'est pas sans rappeler Marcel Aimé. Mais rarement. Car le ton est original. Il est rabelaisien non pas au sens erroné du terme. Il est parce qu'il est un défi à la convention et qu'au-delà des épisodes et des scènes burlesques ou comiques, il est une réflexion sur la condition de la femme lorsqu'elle est solitaire, sans grâce et sans beauté ( ...)
Signé Pierrette Rosset, dans Elle :
(...) Entracte avec un autre premier roman un peu mystificateur : « Mado » de Simone Arèse (Balland). Mado précise : « si j'avais été jolie, j'aurais été putain. Je suis laide, je suis factrice ». Suivent une chronique villageoise désopilante et le récit des déboires de Mado, dont l'idée fixe - non couronnée de succès - est de se marier. Nous nous amusons sans hésitation et nous avons la joie de découvrir par-dessus le marché que l'auteur se paie notre tête et la sienne : le dernier chapitre est une satire très rigolote de la prétention écrivassière, du complexe du petit génie, etc.etc. Mais ne lisez pas la fin avant le commencement, vous seriez punis.
Signé Françoise Xénakis, dans Le Matin de Paris :
Vous vous souvenez de La Guerre des boutons ? Et même de Clochemerle, ou de ces film à la Noël-Noël où l'on rit à gorge déployée et où tout est si vrai, si grave, si sérieux ? Mado voilà comme elle se présente : « Si j'avais été jolie, j'aurais été putain, je suis laide, je suis factrice ; ça me permet de passer une grande partie de ma vie sur le trottoir et d'entrer chaque matin dans la vie des habitants de Saint-Crépin »... La Mado, on la voit obèse, en baskets, qui rêve de se marier (éternel problème), et qui s'inscrit et se punaise au-dessus de son lit la liste de tous les maris possibles du village... Elle sert de chandelier aussi, la Mado, mais une sacrée belle nature ! Vous marchez à fond, persuadé que vous lisez presque un témoignage. Tu parles ! C'est un coup à la Mado. Un premier roman s'il vous plaît, nous y reviendrons, mais lisez-le dès les premiers jours de septembre il fait encore partie des lectures de l'été. Comme cadeau de Noël, il ne sera pas mal non plus. Non ça n'est pas une tranche de vie... c'est une composition !
On aura remarqué que plusieurs de ces critiques font références aux dernières pages du roman, déconcertantes. Je dois quelques explications : au moment où j'écrivais ce roman, je fis connaissance d'un écrivain, un vrai : qui avait été publié, avait même obtenu un prix, mais dont la littérature me sembla aussi absconse que la mienne lui sembla lamentable. Cela ne nous empêcha pas de devenir amis. Je lui avais donc demandé de m'écrire quelques lignes obscures qui passeraient pour l'extrait d'une œuvre du personnage qui, dans Mado, était écrivain. Il s'exécuta, sur le titre que je lui avais fourni : Du féminisme ou le retour des acariens. Je lui proposais ensuite de me concocter une préface, non... une postface, car une préface risquait de décourager ma clientèle ! Il s'exécuta de nouveau, exécutant du même coup mon roman, dans ce prétendu journal de Jean-Marie Zerlini qui termine le roman. Ce que nous nommerions sans doute à présent un bonus plut également à Jean-Paul Amunategui et à Brigitte Massot, qui était mon contact chez Balland : le tout fut publié. Des journalistes s'interrogèrent sur ma véritable personnalité, identité : étais-je cette grosse factrice un peu simplette, ou l'écrivain pédant des dernières pages ? On n'imaginait pas toujours une 3° hypothèse : ni l'une ni l'autre, mais simplement moi. C'est ainsi que la journaliste expédiée chez moi par F magazine s'étonna :
(...) Simone Arèse a réussi à faire de cette histoire simple une histoire drôle. Et à se glisser, elle, la bibliothécaire de Rouen, dans la peau de la factrice d'un petit village du Jura. On se demande comment en la voyant. Je pensais rencontrer une grosse dame imposante. Elle m'attendait à l'entrée de sa résidence et je suis passée droit devant elle sans imaginer une seconde que cette toute petite femme rigolote puisse être la mère spirituelle de Mado. Cette surprise que chacun éprouve en la voyant la fait rire (...) Le très long article de cette jeune étonnée parut sous un titre et une photo dont je vous laisse juges :
Jérôme Garcin, que je rencontrais aux Nouvelles littéraires se montra carrément enthousiaste, aimant vraiment le roman, pages ultimes incluses : « Ah, cette extraordinaire grille de lecture que vous nous donnez à la fin ! » Je lui précisais que si la grille était si extraordinaire, c'est qu'elle avait été écrite par un vrai écrivain. Il voulut connaître son nom. Je ne l'avouais pas : « J'ai promis de le taire ». Jérôme Garcin en conclut : « Si vous ne devez pas le dire, c'est qu'il est célèbre. Ne serait-ce pas Roland Barthes ? » Ce n'était pas Roland Barthes, mais l'auteur de mes pages ultimes fut flatté de pouvoir être confondu avec cette sommité.
Ultérieurement une autre rumeur circula dans le Jura (dont je ne suis pas originaire, contrairement à ce qui est parfois annoncé ci-dessus : je suis née en Normandie, et Port-Lesney ne fut jamais qu'une destination de vacances dans mon adolescence) : Simone Arèse devait encore être un de ces pseudonymes si chers à Edgar Faure, qui habitait ce village jurassien, en avait été le maire. Un érudit local, Henri Frossard, fit même référence dans son livre Ladite horloge (paru 9 ans après mon roman) à une « fiche clandestine aux Archives départementales » redonnant sa véritable identité à l'auteur de Mado ! On ne prête qu'aux riches, c'est bien connu. Mon roman aurait donc été écrit par Edgar Faure, avec une postface de Roland Barthes, excusez du peu ! Ces deux célébrités sont mortes à présent, et j'ignore si la confusion leur aurait été agréable ! Quant à celui qui a prêté sa plume à Jean-Marie Zerlini, je vous fournis un bien maigre indice : il est toujours vivant, toujours publiant des pages absconses...
Si Jérôme Garcin et quelques autres critiques goûtèrent ce Journal de Jean-Marie Zerlini, d'autres en furent agacés (Bernard Geniès, dans La Quinzaine littéraire : « ...les pages du journal de ce zèbre, qu'elle nous inflige à la fin de son roman... ». Bernard Alliot, dans Le Monde : « Pourquoi l'auteur ajoute-elle à sa parodie de roman-paysan-rétro une satire d'une certaine littérature de recherche ? Elle gâche le bon moment qu'elle fait passer au lecteur en pastichant les élucubrations avant-gardistes qui n'émeuvent plus personne. Il n'est pas facile de toucher en même temps deux cibles séparées par des années-lumières» ) Dans la seconde édition de Mado (1984, 9000 exemplaires) André Balland, qui dut être du clan des agacés, supprima ces dernières pages, d'autorité (ainsi que, d'autorité également, dès 1980, Brigitte Massot avait ajouté un accent grave sur mon nom - italien - qu'elle trouvait imprononçable sans ce signe typographique) :
J'eus encore deux critiques aimables :
Karoubi (Line), Le matin, juin 1984
Balavoine (Roger), Paris-Normandie, 21/07/1984 :
15000 exemplaires épuisés...
Réédité, « Mado » annonce un autre roman de l'écrivain rouennais Simone Arèse
Quinze mille exemplaires vendus en moins de quatre ans : premier tirage - important déjà - épuisé. Mado, jeune pucelle sans grâce et plutôt innocente, préposée aux P.T.T. à Saint-Crépin-sur-Loue vient d'être réédité à neuf mille exemplaires, chez Balland. Pour Simone Arese, bibliothécaire en disponibilité (provisoire), c'est une fête. C'est aussi une fête pour les lecteurs de Mado : on a rarement l'occasion de découvrir un roman aussi vif, aussi gai, aussi tendre, aussi poignant. Pas seulement parce qu'il commence par une phrase que tous les critiques ont repris - et qu'on reprend une fois de plus (il y a des plaisirs dont on ne peut se priver) : Si j'avais été jolie, j'aurais été putain. Je suis laide, je suis factrice. C'est parti pour deux cent pages d'imaginaire et de réalisme, de rêves et d'atterrissages traumatisants...
Simone Arese n'est pas Mado. Dans son appartement du Vallon suisse, un jour où la lumière hésite entre le deuil et la joie larvée, elle écrit. Régulièrement. Tous les jours.
- Vous sentez-vous écrivain ?
- C'est toujours ce que j'ai voulu être.
C'est pourquoi elle a interrompu son travail de bibliothécaire adjointe à l'université (elle reprendra à la rentrée pour un an...). Elle écrit régulièrement , chez elle, elle n'aime pas trop faire la cuisine, le ménage.
Simone Arese a déjà écrit d'autres romans - un premier autobiographique et trois autres, plus des nouvelles.
- Quand je suis deux, trois jours sans écrire, j'ai du mal à redémarrer...
Les trois romans non édités - pour l'instant - de Simone Arese, évoquent la Grèce, un village de Normandie et Rouen (sous une forme quasi-policière). Elle écrit actuellement l'histoire de Mme Noé, qui supervise les préparatifs de la construction de l'arche et le choix des animaux élus. Le point de départ de cette recherche : un corbeau en mosaïque que la romancière a tous les jours sous les yeux. Ses deux chats, Marino et Meringue, qui aiment la salade, doivent aussi l'aider par leur impassibilité, ce silence contemplatif qu'ils lui réservent. Le mari de Simone Arese le pratique également. Et ses parents (anciens pâtissiers) l'admirent.
Tout est donc bien, et il reste de nos jours des gens heureux. Curieuse de tout (elle va souvent au spectacle), elle lit :
- Si c'est mauvais, j'ai l'impression d'avoir perdu mon temps, et si c'est bon, ça me déprime quand je suis en train d'écrire...
Et la musique ? Elle en écoute très peu. Ce qu'elle a de plus développé, dit-elle, c'est le regard et l'odorat :
- L'odeur de la rivière de mes vacances dans le Jura est restée.
C'est peut-être pour cette raison que Mado sent la campagne, sent les gens même, les gens de tous les jours avec leurs espoirs, leurs désenchantement, leur isolement.
Le personnage de Mado est venu d'une rencontre fortuite dans la rue. Et le décor, du Jura, de ses souvenirs de vacances : ce Jura entre Bourgogne et Suisse, qui s'ordonne autour des architectures de Nicolas Ledoux et des grandes fermes massives. Simone Arese passait là-bas des vacances. Maintenant elle en Italie, dans la famille de son mari.
- Avez-vous peur de la pression des médias, de cette uniformisation des gens ?
- C'est effroyable, les gens sont figés dans leurs habitudes tout à fait artificielles. Ils ne pensent plus par eux-mêmes, ils se contentent de répéter ce qu'ils ont entendu à la télé. Et l'argent ! C'est la pire des choses. Le bonheur, maintenant, c'est de consommer ; on leur a créé de nouveaux besoins, et ils foncent.
Ayant décidé de ne plus travailler, Simone Arese explique que ce choix est le luxe suprême - à condition que ce soit un choix :
- Nous sommes capables de nous contenter de peu, n'ayant pas beaucoup de besoins, sauf celui de lire...
- Où aimeriez-vous vivre ?
- Dans un pays où il fasse chaud : le froid me paralyse complètement.
Simone Arese est allée cinq fois en Grèce, pays dont elle est amoureuse mais où elle n'aimerait pas vivre car la condition des femmes y semble pénible.
- Aimez-vous la paresse ?
- Oui, la paresse consistant à ne faire que ce qu'on aime.
Marino et Meringue se sont levés : dehors, le ciel a viré au gris clair. Simone Arese est retournée aux problèmes de Mme Noé.
Mado, chez ses lecteurs, continue à parler de poésie, de bons sens, et d'illusion. Des chemins qui mènent loin...
Et il y eut une troisième édition, chez France-loisirs cette fois, en 1985, avec un tirage de 42000 exemplaires
Bref : pour un coup d'essai, ce fut un coup de maître. J'étais presque devenue célèbre. Beaucoup trop vite pour que je prenne la mesure de ce qui m'arrivait. Quand je compris, il était trop tard : je n'étais plus presque célèbre...