CAPLAIN (DANIEL)

Peintre rouennais (1942-2005), mort aux Andelys.
On trouvera ici quatre textes concernant son travail. Et au titre Seine en scènes de l'abécédaire général, les premiers chapitres du livre que nous devions faire ensemble, lui à ses pinceaux, ses pastels, moi à mon stylo.

Je sais l'histoire de Caplain. Je ne vous la conterai pas. Elle est lisible dans son œuvre. Il peint la fracture. Il peint la rencontre des éléments - l'air, l'eau, la terre - dans des couleurs froides - blanc, bleu, beige, noir, gris - où n'apparaît pas le feu (hormis, parfois, l'audace d'un jaune dont il semble s'excuser, qu'il circonscrit fermement comme s'il craignait l'incendie).
Car le feu est intérieur, antérieur, volcans éteints, laves figées sous ces falaises du secondaire, le feu a précédé l'ère de la fracture, précédé l'apparition de l'Homme, ce bavard.
Et pour mieux rendre la texture de ces éléments, le peintre géologique, l'amoureux du crétacé, l'architecte du silence emploie le pastel, ce petit bâton d'argile et de gomme arabique, cet enfant de la terre et de l'arbre, qui lui laissera aux doigts tous les pigments de la création.

(juillet 1988)


Ne supposez pas, touriste étonné, passant un peu ivre, que Flaubert, qui a coutume, dans son bronze érigé place des Carmes, de contempler les boulistes frileux, les amoureux échauffés, et les pigeons déféquant sur sa postérité, ne supposez pas que le sauvage de Croisset, parfois, quitte son socle ennuyeux pour déambuler par nos rues.
Celui-là, que vous venez de confondre avec l'illustre écrivain, à cause de la moustache, de la bedaine, et de certaine similitude goguenarde dans l'œil, celui-là est notre contemporain, aussi ermite que l'autre, et ne traversant aujourd'hui nos pavés que pour aller suspendre ses toiles aux cimaises du Centre d'Art Contemporain.
Votre erreur est d'autant pardonnable que le mort et le vivant ont encore en commun de mêler les ténèbres et la lumière comme si, se jouant de nous, ils jouaient entre eux, assurant de leur plume séchée et de leur pastel volatile, la pérennité de Rouen, cette ville qui a coutume de reconnaître les meilleurs des siens avec un siècle de retard.

(avril 1990)


Daniel Caplain est un païen.
Un païen mystique.
Et, de l'ancienne religion panthéiste, il n'a gardé qu'une seule idole, tardive, basse époque, moitié gauloise, moitié latine, quelque peu beur en somme : la déesse Sequana, qui coule son grand corps aquatique du plateau de Langres jusqu'à la Manche.
Dans le petit vallon planté de sapins, où, selon l'expression en usage, le fleuve prend sa source, de pieux pèlerins ont déposé des ex-voto de bois frustes, de bronze argenté, vers les 3° et 4° siècles.
Daniel Caplain, qui est né plus près de l'estuaire que de la source, a choisi, pour célébrer son culte, le Bois de la Garenne. Il a planté là, sur un socle de pavés évidemment ravis à une ancienne voie romaine, son ex-voto personnel : une grande sculpture blanche, aux formes massives de Déesse Mère, affirmant ainsi qu'il est l'enfant du Fleuve.
L'enfant espiègle, savez-vous ? Car la belle pierre immaculée de Sequana n'est qu'une illusion : l'artiste facétieux a taillé un bloc de ... polystyrène. L'amour, pour divin qu'il soit, doit demeurer léger, tel le pied d'une nymphe, et pouvoir s'envoler au souffle d'Eole.
Cette nuit, dans le Bois de la Garenne, les lapins seront étonnés de voir Sequana devenir montgolfière, et filer vers la cercle pâle de la lune.

(novembre 1992 )


Prenant son demi-siècle, Caplain, dans la foulée, a pris de l'audace : s'il n'a abandonné ses paysages épurés, si paisibles, qui nous donnent des regrets du Paradis, il a éclairci sa palette, glissant, au cœur de ses couleurs froides (ces bleus, ces blancs, ces gris où il excelle) des jaunes foudroyants. Et je le soupçonne, quand je le vois caressant le papier de ses doigts imprégnés de pastel, d'être quelque Merlin occupé du geste magique qui permet d'entrer dans le cercle de la lumière et de nous y entraîner avec lui.

(juin 1995)


En 2006, Jean-Marc Heuschling, qui fut son élève autant que son ami, lui a rendu un bel hommage, dans cette toile, qui est un portrait du maître, post-mortem :

copyright Jean-Marc Heuschling